La première véritable crise politique qu’a connue le PDG durant la longue nuit du monopartisme n’est pas, comme on l’a souvent cru, l’affaire du Morena. Elle éclate bien plus tard, en 1989 précisément. Au cours d’un Conseil des ministres, les membres du gouvernement sont d’entrée conviés à écouter une importante déclaration du Grand Camarade. Omar Bongo annonce ainsi que les dossiers préparés en Conseil interministériel seront examinés au prochain Conseil des ministres. Il décrète ensuite qu’un seul point sera inscrit à l’ordre du jour. Et comme les ministres ne savent pas de quoi il retourne, c’est alors que Bongo fait distribuer, séance tenante, un document portant sur la création du poste de Vice-président de la République.
Les ministres reçoivent aussitôt de Bongo un ordre péremptoire de le parcourir et de l’analyser rapidement afin qu’il soit adopté. A la lecture de ce document, que beaucoup d’autres Gabonais ont également eu le privilège de parcourir, les ministres découvrent l’intention de Bongo de rompre avec le système instauré par le parti unique pour vouloir imposer précipitamment son successeur. Comme cela se fait dans le pur style des traditions monarchistes.
Dans la salle, le climat est glacial et les mines ne tardent pas à s’assombrir. Rares sont les ministres qui partagent le projet, à l’exception, bien entendu, des membres de la famille présidentielle. Quand Bongo ordonne de passer à l’examen du Projet, une main s’élève. C’est celle du général Thomas Eya Obiang, alors membre du gouvernement. Le soldat prend la parole et déverse tout le mal qu’il pense du Projet. Soulevant de fait une riposte d’un Bongo qui, jusque-là, n’avait jamais ainsi été contredit en Conseil des ministres. Il s’établit aussitôt une véritable altercation verbale entre Bongo et son ministre. Lequel, sans se laisser démonter, campe sur ses positions antimonarchistes. Quand la tension arrive à son comble, Eya Obiang se lève et claque la porte.
Ivre de colère, Bongo comprend alors que son opposant d’un moment ne doit pas être le seul à penser du mal de son Projet. Il quitte à son tour la salle, laissant le Conseil des ministres s’achever dans la plus grande confusion. Le compte rendu de cette réunion ne se résumera qu’au limogeage de Thomas Eya Obiang et son remplacement par Thomas Ndzé Ndidime. Officiellement, Bongo justifiera l’éviction d’Eya Obiang comme étant la conséquence de l’implication d’un officier supérieur des forces armées dans un débat purement politique. C’est tellement grotesque qu’il serait inutile de rappeler aujourd’hui à Bongo que tout gouvernement a un caractère politique et non militaire.
Lorsque, quelques mois plus tard, le peuple dicte l’ouverture politique, Bongo ne se débarrasse guère de son rêve d’avoir un Vice-président de la République, mais le rangera tranquillement au “frigidaire”. Avant de le ressortir... en 1996.
Il faut dire qu’il s’agit d’une stratégie classique. Bien avant cette affaire de Vice-présidence de la République, il y a d’abord eu le projet “Akoma Mba” qui devait lui permettre de devenir le roi du Gabon et les Bongo des actionnaires exclusifs d’une société qu’on pourrait dénommer Gabon SA. Présenté au cercle le plus restreint de son entourage, le projet “Akoma Mba” sera heureusement démantelé, bien entendu, contre la volonté de Bongo, par un travail minutieux et discret mené en duo par Jean-Pierre Lemboumba Lépandou et Zacharie Myboto. Il n’empêche qu’Omar ne s’en était pas débarrassé d’autant plus qu’il l’a juste rangé dans un tiroir. Et c’est d’autant plus vrai qu’il vient de le remettre sur sa table, sous une forme améliorée. C’est dire que, comme avec la Vice-présidence de la République, le projet “Akoma Mba” n’a jamais été oublié.
L’on comprend pourquoi, durant les douze années d’ouverture démocratique, Bongo s’est attelé à saboter le processus par la corruption, l’impunité et une fraude d’Etat qui a réussi à pousser le Gabonais à avoir une idée nauséeuse des élections. Exceptionnel travail de sape qui a atteint son premier objectif : le monopartisme de fait dans lequel nous sommes replongés aujourd’hui et dans lequel Bongo se sent comme un poisson dans l’eau, régnant en despote absolu sous le regard complice des «opposants repentis». En attendant maintenant de passer au second objectif : la monarchie. Une stratégie dont voici les principales étapes.
La suite au prochain épisode...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire